La répression ougandaise contre les rebelles ADF dans l’est de la RD Congo, une mission lancée conjointement avec Kinshasa, a été motivée en partie par le désir de protéger les intérêts pétroliers ougandais, ont déclaré des chercheurs et l’armée lundi.

Mais l’opération conjointe a également « bouleversé » le Rwanda et est devenue un facteur de la résurgence d’un autre groupe rebelle, le M23, qui, selon la RD Congo, est soutenu par Kigali, ont-ils ajouté.

Le rapport, du Congo Research Group (CRG) de l’Université de New York et d’Ebuteli, un institut de recherche congolais, se penche sur la répression sans précédent, l’opération Shujaa, que les deux pays ont lancée fin novembre 2021.

Les troupes ougandaises ont traversé la frontière dans le cadre d’une opération conjointe avec les forces de la République démocratique du Congo qui visait les bastions des Forces de défense alliées (ADF) – un groupe rebelle responsable de milliers de morts dans l’est du Congo et d’une série d’attentats à la bombe dans la capitale ougandaise Kampala.

Les responsables militaires des deux côtés ont proclamé que l’opération Shujaa était un succès. Mais le rapport indique que les informations sommaires disponibles suggèrent que les ADF ont été fragmentées en « trois ou quatre groupes » et se sont déplacées plus à l’intérieur des terres, loin de la frontière entre la RDC et l’Ouganda.

L’opération « n’a pas réussi à affaiblir structurellement les ADF », dit-il, décrivant les rebelles comme un ennemi « résilient, mobile et adaptable ». Du point de vue de l’Ouganda, l’opération militaire était également liée à d’autres objectifs, notamment la sécurisation des projets pétroliers ougandais autour du lac Albert qui se trouve à la frontière entre les deux pays, indique le rapport.

Le programme de plusieurs milliards de dollars compte sur les investissements de majors étrangères pour exploiter les réserves sous le lac et construire un oléoduc pour acheminer le pétrole vers le marché.

« L’intervention ougandaise a également créé une situation régionale potentiellement explosive avec Kigali », préviennent les auteurs.

« L’opération militaire actuelle se déroule dans un contexte de relations déjà tendues entre l’Ouganda et le Rwanda, motivées par des problèmes de sécurité et d’accès aux minerais dans l’est du Congo. Les opérations et les infrastructures routières (construites dans le cadre de l’opération Shujaa) élargissent la sphère d’influence de l’Ouganda dans le région et pourrait potentiellement conduire à une nouvelle escalade de ces tensions. »

Les tensions entre Kigali et Kinshasa
ont éclaté ces derniers jours entre Kinshasa et Kigali à propos du M23, qui, comme les ADF, est l’un des dizaines de groupes armés qui parcourent l’est de la RDC, héritage de deux guerres régionales à la fin des années 1990.

La milice tutsi, Rwandaise, a brièvement capturé Goma en 2012, mais une offensive conjointe des troupes de l’ONU et de l’armée congolaise a réprimé la rébellion.

Le groupe a repris les combats en novembre de l’année dernière après avoir accusé le gouvernement congolais de ne pas respecter un accord de 2009 en vertu duquel l’armée devait incorporer ses combattants. Des milliers de personnes ont fui vers l’Ouganda et le territoire congolais de Rutshuru depuis qu’un deuxième épisode de violence a éclaté en mars.

« L’intervention ougandaise a déjà eu des répercussions géopolitiques profondes. L’opération a bouleversé le Rwanda et a été l’une des raisons de la résurgence de la rébellion du M23 », indique le rapport.

La RDC a accusé le Rwanda d’avoir aidé à la résurgence du M23 – une affirmation que le gouvernement rwandais a niée – et ces derniers jours, les deux parties ont accusé l’autre de mener des frappes transfrontalières.

Lundi, des sources locales ont déclaré que le M23 avait envahi la ville commerçante de Bunagana, à la frontière avec l’Ouganda. Les relations bilatérales entre le Rwanda et son vaste voisin de l’ouest ont une longue histoire de tensions, à commencer par l’arrivée massive dans l’est de la RDC de Hutus rwandais accusés d’avoir massacré des Tutsis lors du génocide rwandais de 1994.

« La réémergence du M23 n’est pas venue de nulle part », a déclaré Jason Stearns, directeur de CRG, dans un e-mail.

« Il a été déclenché par divers facteurs, notamment les changements géopolitiques provoqués par l’intervention ougandaise ».

A RETENIR

Les tensions ont éclaté ces derniers jours entre Kinshasa et Kigali au sujet du M23, qui, comme les ADF, est l’un des dizaines de groupes armés qui parcourent l’est de la RDC, héritage de deux guerres régionales à la fin des années 1990.

L’operation Shuja visait à protéger les gisements de pétrole et les infrastructures de l’Ouganda autour du lac Albert.

Outre la traque des forces négatives notamment les ADF dans l’Est de la RDC, l’opération Shuja que mènent les armées congolaise et ougandaise « visait vraisemblablement aussi à protéger les gisements de pétrole et les infrastructures de l’Ouganda autour du lac Albert, et à construire des routes pour développer un marché pour les exportations ougandaises », révèle un rapport du Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC.

S’appuyant sur des sources en Ouganda ainsi qu’en RDC, ces chercheurs ont souligné que la sécurisation des champs pétrolifères constitue une raison importante de cette opération militaire.

Pour preuve, ont-ils argué, cette collaboration des armées congolaise et ougandaise permet à Dott Services, une entreprise de construction ougandaise, et à TotalEnergies, une compagnie pétrolière française, de promouvoir leurs intérêt dans la mesure où le président Yoweri Museveni a fait du commerce et du pétrole la pierre angulaire de sa stratégie économique et politique

« Le 1er février 2022, au milieu de l’opération Shujaa, un accord d’investissement a été finalisé sur le projet pétrolier, d’une valeur de plus de 10 milliards de dollars, par le président Museveni, la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et TotalEnergies. On estime que la région du lac Albert contient entre 1 et 1,4 milliard de barils, faisant de l’Ouganda le pays détenant les cinquièmes plus grandes réserves d’Afrique subsaharienne. La région accueille le projet Tilenga, opéré par TotalEnergies, et Kingfisher par CNOOC. Les élections de 2026 en Ouganda créent un sentiment d’urgence pour ce projet, le pétrole étant censé commencer à couler en 2025. Cela pourrait à son tour être une raison majeure influençant l’intervention militaire ougandaise », peut-on lire dans ce rapport.

Hormis les enjeux économiques, l’opération militaire Shuja « a déjà eu des répercussions géopolitiques de grande ampleur » entraînant la résurgence du M23 et les tensions régionales.

« L’opération a irrité le Rwanda et a été l’une des raisons de la réapparition de la rébellion du M23 », fait remarquer le GEC.

Ce rapport est principalement basé sur des entretiens réalisés à Kinshasa et à Kampala en janvier et février 2022, et sur des entretiens de suivi à distance avec une variété d’acteurs : analystes du renseignement, diplomates, journalistes et leaders de la société civile, pour un total de 47 entretiens.

FK

By Joel Konde

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