LUI
Bonjour. Les jours passent vite et c’est déjà trois mois et quelques jours que la guerre entre la Russie et l’Ukraine a commencé. Quel regard d’analyste faites-vous sur l’évolution de cette guerre?

MOI
Attention! Parler de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, c’est déjà tomber dans le piège du narratif propagandiste de cette guerre qui se passe plutôt entre d’un côté la Russie et de l’autre les Usa avec ses alliés de l’OTAN par la procuration de l’Ukraine qui a été instrumentalisé à un plan expansionniste qui le dépasse.

Ceci dit, après trois mois de belligérance, l’on aperçoit mieux les ressorts profonds de cette guerre en Ukraine et l’horizon futur qui se profile.

Derrière le paquet de sanctions contre la Russie, l’objectif principal n’était pas de mettre ce pays en cessation de paiement comme certains dirigeants européens l’ont affirmé. Non l’objectif principal était plutôt de faire tomber Vladimir Poutine de la même manière que l’OTAN l’a fait contre Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Égypte, M. Kadhafi en Libye, Sadam Hussein en Irak ou encore comme ils ont voulu le faire contre Bachar el Assad en Syrie.

Cette guerre en Ukraine visait donc le changement de régime en Russie pour y positionner un dirigeant contrôlable, avant d’atteindre la cible stratégique principale de cette guerre qu’est le contrôle total du Pacifique équivalant à mettre à genoux la Chine.

C’est comme si la stratégie militaire consistait à affaiblir en première phase la Russie principal allié de la Chine avant de passer à l’attaque décisive de l’Empire du milieu.

LUI
Et d’après vous, vous croyez qu’ils vont y parvenir ?

MOI
A mon avis, l’OTAN s’y était préparé depuis des années lorsque ses armées avaient commencé des exercices de simulation militaire avec ce titre assez évocateur “Defender Europe et Swift Response” qui rassemblaient environ 18 000 militaires de 20 pays, se déroulant en Pologne et dans huit autres pays. Ces simulations militaires très bien menées ont donné aux forces de l’OTAN la TROP forte assurance de se défendre mais aussi de pouvoir atteindre leurs objectifs militaires et politiques, commettant tout de même le grave péché d’ignorer que Vladimir Poutine le savait et qu’il s’était préparé au détail près pour leur tenir tête. C’est sûrement pour cette raison que dès 2002 Poutine déclarait : “en comprenant les mesures que l’Occident prendra dans un avenir proche, nous devons tirer des conclusions à l’avance et être proactifs, en tournant les mesures chaotiques irréfléchies[… ] à notre avantage pour le bien de notre pays.»

LUI
Comment interprétez-vous alors l’évolution actuelle de la crise en Ukraine avec un Biden toujours plus menaçant?

MOI
Il faut interpréter cela à l’aune des législatives de novembre 2022 prochain aux Etats-Unis et la volonté de Joe Biden d’y arriver en position de force. Et bien entendu cette position il ne peut la mettre en sa faveur qu’en infligeant des pertes militaires à l’armée russe. Il me semble que c’est une question de vie ou de mort non pour les ukrainiens mais pour l’actuelle administration démocrate qui sait pertinemment bien qu’une défaite aux législatives signifierait le retour de Donald TRUMP sur le devant de la scène politique américaine.

Dans la suite des événements, un tournant décisif de cette guerre a eu lieu à partir du moment où l’armée russe a réussi à arrêter les officiers de haut rang de différents pays de l’OTAN qui se trouvaient coincés dans le bunker d’Azovstal.

À partir de ce moment Poutine n’avait plus eu besoin d’une bataille frontale avec Biden car il détenait désormais entre ses mains l’arme redoutable des informations très compromettantes sur ses ses adversaires. Des documents secret défense qui sont plus redoutables que le missile balistique intercontinental Satan II.

Tout porte à penser que Poutine ne fera pas ce cadeau de guerre frontale à Biden qui, lui, en a fait l’argument massue en vue de convaincre l’opinion
américaine de voter pour le camp démocrate. Son adversaire slave quant à lui semble vouloir différer son plan, attendre la fin des législatives en novembre et le début de l’hiver pour remonter les enchères politiques et militaires.

Sachez qu’on a vraiment affaire avec Biden et Poutine à deux grands joueurs d’échec et on ne sait pas encore qui en sortira vainqueur.

LUI
Et donc présentement on peut dire que c’est le statu quo dans ce conflit?

MOI
Non non pas du tout! Les choses semblent plutôt bouger et il se dessine un nouveau schéma de sortie de crise auquel personne ne s’attendait il y a quelques semaines. A trois mois de guerre, en effet, il s’observe par-ci par-là en Occident la promotion d’un nouveau plan diplomatique qui semble prendre le devant et qui se résume en une THEORIE DU MOINDRE MAL. De quoi s’agit-il? Elle consiste à céder à la Russie les parties orientales conquises et à l’Ukraine l’ordre de se contenter du reste du territoire.

La même théorie du moindre mal avance que la reconquête des territoires occupés par l’armée russe serait trop meurtrière et qu’il faut rester réaliste en arrêtant tout simplement cette guerre. Cette idée n’est pas de la pure imagination de celui qui vous parle car elle émane d’un plan de paix présenté par l’Italie et soutenu par la France, l’Allemagne et l’ONU. La même idée rencontre un fort soutien des États-Unis avec pour preuve la publication dans le très démocrate quotidien New York Times de cette tribune assez évocatrice: “The War in Ukraine is getting complicated and America isn’t ready” où l’on lit clairement la nouvelle position atlantiste d’abandonner cette guerre qu’ils jugent trop coûteuse et interminable.
C’est dans ce m’ouvra contexte, l’amertume de Zelensky à la rencontre de Davos ou la colère de son ministre des affaires étrangères Dmytro Kuleba accusant l’Otan de trahison n’y pourront rien changer.

LUI
Pour penser à notre propre sort nous congolais, quel impact ce conflit peut-il avoir sur l’Afrique et en RDC notre pays?

MOI
Tu sais? Je souris un peu quand j’écoute beaucoup de mes compatriotes traiter cette guerre comme la guerre entre des blancs ou quand d’autres encore réduisent ses conséquences en Afrique sur la seule pénurie de blés ukrainiens sur le marché alimentaire. C’est là une grosse erreur d’appréciation ! Car les conséquences les plus graves de cette guerre se profilent plutôt ailleurs sur un terrain sécuritaire et politique et semblent beaucoup plus lourdes que ça!

LUI
Plus lourdes dans quel sens?

MOI
Vous êtes sans ignorer la proposition de loi dite H.R.7311 Countering Malign Russian Activities in Africa Act et qui a été déposée au sénat américain le 4 mai 2022 dernier. Sous couvert de l’influence russe en Afrique, cette loi fixe les nouvelles règles consistant à sanctionner tous les gouvernements africains qui favoriseraient de quelconque manière une coopération avec la Russie. Tout gouvernement africain qui oserait entretenir une coopération militaire avec la Russie serait passible de sanctions américaines. De même pour tout gouvernement qui choisirait de favoriser la Russie au détriment des pays de l’alliance atlantique dans le business de ressources minières ou du commerce de matières stratégiques se verrait sous le rouleau compresseur américain. En d’autres termes cette loi obligerait désormais les gouvernements africains à traiter uniquement avec leurs partenaires occidentaux.

Il suffit de voir loin pour comprendre que cette loi donne à la première puissance mondiale un cadre juridique de déclencher les opérations militaires en Afrique pour empêcher la Russie et la Chine de marcher sur le plates-bandes occidentales africaines ou sur ce que tout le monde s’est habitué à appeler sans vergogne leurs pré-carrés en Afrique depuis la fameuse conférence de Berlin.

LUI
Vous êtes sûr de ce que vous dites? Moi je trouve ça trop grave. Voulez-vous me citer vos sources?

MOI
C’est simple. Allez consulter le siteweb du congrès américain www.congress.gov
Vous comprendrez que ce n’est pas de la simple imagination. Cette loi implique directement le continent africain dans le plan de guerre des américains contre la Chine. À défaut de voir leurs peuples mourir, la guerre pourra bien être exportée sur le continent africain comme cela a été le cas en Ukraine.

LUI
Vraiment si ça arrivait ça va être très grave. Je me demande quoi faire pour qu’on n’en arrive pas là ?

MOI
L’Union Africaine me paraît trop divisée pour lever un front commun. Il reviendra à chaque dirigeant africain d’en tirer les conséquences qui s’imposent et à l’élite africaine encore lucide et intègre d’informer l’opinion et d’anticiper sur le pire. Car contrairement à l’Ukraine ayant connu la solidarité européenne, aucun pays ne viendra à la rescousse de l’Afrique. Il faudra donc éviter d’être instrumentalisé dans une guerre qui a commencé SANS NOUS et en dehors de laquelle l’Afrique a tout intérêt de se positionner.

LUI
Bon! De ce côté là la RDC peut rester tranquille rien qu’à voir l’action louable de l’ambassadeur américain à Kinshasa et les relations au beau fixe entre les deux pays.

MOI
Il ne faut peut-être pas vite jubiler. Car ce qui est remis en question dans la loi du sénateur Gregory W. Meeks ( c’est le nom de l’initiateur afro-américain de cette loi), c’est justement le droit inaliénable réservé aux nations de s’auto-déterminer librement de leur destin et de leur volonté souveraine à décider avec qui signer des accords de coopération régionales, continentales et internationales.

Il faut donc rester prudent et pour cette raison, je préfère personnellement m’inspirer de la sagesse de l’emblématique diplomate américain Henry Kissinger qui déclarait ceci : “it may be dangerous to be America’s enemy, but to be America’s friend is fatal.” À entendre en français: “ il peut être dangereux d’être l’ennemi de des États-Unis d’Amérique mais être leur ami est fatal”. Ce diplomate et stratège de renommée mondiale a tout résumé de la situation actuelle de l’Afrique. Que ce soit Goita ou Tshisekedi, que ce soit le Mali ou la RDC, on sera forcément tous obligés de choisir entre le danger ou la fatalité. Personne donc ne semble à l’abri.

By Joel Konde

Joel Konde pour vous informé

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